Nos parents et nos aïeux qui ont vécu le « bumidom » ont cru bien faire en nous taisant certaines facettes de cette « histoire ». Tout ne pouvait être raconté sans réveiller ou aviver des blessures mal ou non cicatrisées.

Nos parents et nos aïeux ont choisi de se taire ou de travestir la réalité. Ils ignoraient que tout ce qui est tu, pour cause de « Non-Amour », demande, un jour, à être révélé pour être réparé.

Ils se sont tus mais nous ont légué leurs ressentis d’humiliation, leurs sentiments d’injustice, leurs colères et leurs rancœurs refoulées. La désillusion entachée de honte et de culpabilité a fait du « bumidom » un sujet « tabou ».

Nous, descendants-héritiers de ces souffrances pouvons réhabiliter nos parents, nos aïeux, et nous affranchir des conséquences douloureuses et limitantes de cette mémoire inter et transgénérationnelle.

Nous pouvons absorber les Histoires Individuelles en une seule Histoire Collective. Une histoire à décrypter en l’analysant dans le contexte politique, économique et social de l’époque. Revisiter et comprendre les enjeux de cette période nous aideraient à en accepter les effets ; à en apaiser les conséquences émotionnelles.

La mise en place du bumidom fut la réponse de l’Etat à la situation sociale et économique dans les DOM-TOM : familles nombreuses, pauvreté, chômage important, fermeture progressive des usines de fabrication du sucre de canne, revendications indépendantistes.

La Métropole, en pleine période des 30 glorieuses, connaissait un besoin en main d’œuvre, de préférence française et chrétienne.

De 1963 à 1981, des filières de migration acheminèrent, des DOM vers la Métropole, près de 200M hommes et femmes ; âgés de 18 à 25 ans ; peu ou non qualifiés ; issus de familles nombreuses et vivant dans la précarité. Le contrat stipulait un départ en France contre une formation, un emploi dans la Fonction Publique et une aide au logement. L’Eldorado pour une population jeune et sans perspective ; à laquelle on offrait un espoir de réussite professionnelle et d’ascension sociale.

Que savons-nous de cette histoire ? Ce dont nous, enfants à l’époque, nous souvenons ; ce qui nous a été raconté par ceux qui sont restés ou ceux qui sont partis, une vérité torturée par les non-dits.

Nous savons que beaucoup sont partis sans garanti de retour, se coupant de leur famille en laissant parfois leurs enfants ; un voyage, en groupe, par avion ou par bateau, avec séparation des hommes et des femmes à l’arrivée ; un enfermement dans des centres de formation, sans contact avec l’extérieur. Ainsi furent formés des ouvriers mécaniciens spécialisés et environ 700 aide-ménagères, destinées à travailler chez des notables ou des « politiques », devant lesquels elles défilaient pour être choisies. Les embauches comme fonctionnaires se faisaient sur les postes les moins qualifiés : fille de salle ou brancardier dans les hôpitaux ; pointeur (se) à la RATP ; préposé au tri ou facteur aux PetT. L’aide au logement se résuma en un hébergement provisoire en dortoirs et évolua vers des attributions en HLM en banlieues.

Si certains se sont adaptés, se sont intégrés et ont pu afficher des signes extérieurs de prospérité. Pour d’autres ce fut la fin des rêves de réussite sociale et professionnelle et le début d’une incapacité à trouver sa place dans le pays « d’accueil », avec, à chaque retour, le sentiment d’avoir perdu sa place sur sa terre natale.

Il nous est possible, grâce à tous les documents disponibles, de porter un regard introspectif, dénué de jugement de valeur sur la réalité matérielle et émotionnelle de leur vécu.

Une approche qui nous permet de mieux comprendre ceux qui, toujours prisonniers de leurs sentiments de honte et de culpabilité, ont décidés « d’oublier » ; ceux qui ont refoulé leur colère en se découvrant « objet » d’une politique coloniale manipulatrice ; ceux qui, en butte au racisme et à la discrimination, se sont découverts « non-français » ou « français entièrement à part » ; traités comme beaucoup de « migrants étrangers ».

Nous pouvons mieux comprendre leurs difficultés à « Dire » une réalité non assumée ; reviviscence, dans nos mémoires cellulaires, de pratiques liées à l’esclavage et à la colonisation. Une activation de nos mémoires de non-reconnaissance comme Êtres Humains ; le réveil de nos blessures d’Injustice, d’Humiliation et de Trahison.

Quelles conséquences pour nous descendants-héritiers ?

Il nous incombe de poser factuellement l’Histoire pour en « reconnaitre » la réalité émotionnelle, quel qu’en soit la forme ou le contenu. Nous pourrions ainsi éclairer les transmissions passionnelles et nous libérer des colères et agressivités qui impactent nos comportements. Nous pourrions éclairer le Mal-Être causé par :

  • Le sentiment de non-appartenance à une communauté : en métropole, nos aïeux se sont découverts « non-français » ; le retour au pays les a ramenés aux problèmes de la place perdue, non-rendue, difficile à re-prendre, ou pire, non-reconnue. Leurs descendants sont confrontés aux sentiments de n’être (naitre) ni d’ici, ni d’ailleurs avec une impossibilité à s’inscrire dans l’espace et le temps.
  • La perte identitaire : séquelle d’une insuffisance ou d’une rupture dans la chaine des transmissions, elle est l’aboutissement d’une acculturation qui nourrit une illusion d’intégration par assimilation. Insuffisamment « enracinés » dans leurs Histoires ancestrales, insuffisamment nourris de leurs richesses culturelles, les descendants perdent la puissance de l’Ancrage.
  • Le déracinement qui s’exprime par une difficulté récurrente à trouver sa place, à se sentir à sa place ; à être à sa « juste » place.

Que faire ? comment faire ? Reconnaitre, Réparer, Soigner les blessures

  • Reconnaitre aux exclus, aux oubliés, aux rejetés, leur droit à l’« Appartenance » en les réinscrivant, à leur place, dans leur fratrie, leurs familles, leurs lignées ;
  • Réhabiliter les « bannis », ceux qui ont vécu « la rue », l’esclavage moderne, la prostitution ; ceux qui se sont suicidés ; ceux qui, coupables d’activité peu glorieuse, humiliés en Métropole, se sont trouvés méprisés en revenant « au pays » ou …. N’ont jamais osé revenir ;
  • Réhabiliter les mères en restaurant le lien « parent-enfant » dans l’ordre générationnel : reconnaitre le rôle joué par les grand-mères ; redonner aux pères-mères, absent(e)s, « défaillant(e)s » leur place et leur rôle, quel qu’en soit le contenu. Ce contenu étant à décrypter avec bienveillance pour soigner les blessures de rejet ou d’abandon inscrites dans les mémoires cellulaires de leurs enfants ;
  • Couper les liens transgénérationnels douloureux qui impactent nos comportements.

Guérir et Transmuter les mémoires transgénérationnelles

  • Apaiser les héritages émotionnels de chaque histoire individuelle en objectivant la Mémoire Collective ; en libérant le transgénérationnel des non-dits ;
  • Soigner les blessures en libérant la parole de ceux qui peuvent raconter l’Histoire. Une parole accueillie sans jugement ; une parole qui se décharge de la honte, de la culpabilité et de la colère ; une parole humaine qui informe, qui instruit ; qui appelle à la compréhension, à la bienveillance, à la compassion ;
  • Honorer les courages et ainsi, libéré des émotions souffrantes, nous réapproprier notre intégrité, notre unité, notre dignité.

Nous descendants-héritiers pouvons faire le choix de nous enrichir de la Force, du Courage et du retour d’expériences de ceux qui ont accepté l’exil par Amour pour leur famille.

Line LICAN

Psychologue Psycho Généalogiste

Constellatrice Familiale Systèmique

BUMIDOM : bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer. Début 1963 avec Michel Debré – Fin 1981 sous François Mitterrand – prés de 200M ou 160M Domiens